16 April 2013

Revendre des fichiers musicaux de “seconde main” par l’entremise de ReDigi: licite ou pas?

Bannière apparaissant sur le site www.redigi.comLa société ReDigi (www.redigi.com), qui a lancé son service en 2011, prétend être “The World’s First Pre-Owned Digital Marketplace”. Elle se présente comme “a free cloud service that allows you to sell your legally purchased digital music“. Le prix minimum de revente pour les fichiers “licitement acquis” semble alléchant: $0,49, donc 50%, plus ou moins, du prix standard d’un fichier musical vendu sur iTunes. Quand un usager achète un morceau sur ReDigi, 20% du prix vont au vendeur, 20% sont alloués à un fonds en faveur de l’artiste et ReDigi retient les 60% restants.

ReDigi se présente comme un site licite. Dans ses FAQ, Redigi explique en termes simples:

YES, ReDigi is Legal!  True, a few of us may look suspicious with our five o’clock shadows and a fashion sense that would scare your grandmother, but we are a law-abiding operation here at ReDigi.  This is something we take very seriously.

ReDigi brings the familiar process of selling a physical good (CD, book, Pink Cadillac, etc.) into the digital age.

To paint a simple picture, let’s use the Pink Cadillac as an example. You bought that outrageous gas-guzzler, you own the title, and by all means you have the right to sell it. However, once you hand over the keys, it’s no longer yours to drive.

The same concept applies to a pre-owned song you sell through ReDigi.  ReDigi has the technologies in place to ensure that once you sell a song, you no longer have access to it.  This is how ReDigi stays legit, and how you now have access to a new marketplace where rights long accepted in the physical world may now be applied to digital goods.

Aux Etats-Unis, la District Court de New York (S.D.) a néanmoins considéré, dans une décision du 30 mars 2013 (ici), que le service de ReDigi n’est pas compatible avec les règles du droit d’auteur applicables (Section 106 du Copyright Act de 1976 conférant un droit de reproduction et de distribution et Section 109 définissant la règle dite du “first sale”, l’équivalent américain de la règle européenne de l’épuisement).

Du point de vue du droit d’auteur, le service de ReDigi n’est donc pas comparable à un magasin de revente de disques de seconde main — car la règle du “first sale” qui s’applique hors ligne n’est pas applicable en ligne. Pour la District Court, c’est un autre objet matériel que le fichier acheté au départ qui se retrouve sur l’ordinateur de celui qui l’a téléchargé (downloadé) après l’avoir acheté “en seconde main”.

Le juge en première instance souligne qu’il faudrait modifier la loi sur le copyright pour rendre licite le service de ReDigi — le juge reconnaît au passage que l’affaire met en lumière “a fundamental clash over culture, policy and copyright law“. Expliquez au passage ce qu’il faut entendre par cet “affrontement fondamental”.

Selon la décision américaine, y a-t-il une atteinte directe ou indirecte au droit d’auteur? (Distinguez au passage ces diverses formes d’atteinte).

Le site de ReDigi annonce sa venue prochaine en Europe:

Coming soon to the EUDue to popular demand, European music lovera will soon be able to buy and sell pre-owned music on ReDigi“.

Peut-on s’attendre à une arrivée rapide de ce service en Europe?

Rien n’est moins sûr car les règles européennes (et belges) en matière de droit d’auteur pourraient gêner l’arrivée de ce service de revente de fichiers numériques.

Pour anticiper la venue de ReDigi en Europe, ce qui présuppose que le site soit licite, vous devrez examiner en détail l’arrêt Oracle c. UsedSoft rendu le 3 juillet 2012 par la Cour de justice de l’UE (C-128/11). Mais, dans votre analyse juridique, vous devrez sans doute encore tenir compte d’autres arrêts de la Cour de justice, par exemple les arrêts Copad c. Christian Dior (C-59/08) et Greenstar-Kanzi c. Jan Hustin (C-140/10). Nous avons déjà évoqué ces derniers arrêts ici et ici.

L’interaction entre la règle d’épuisement du droit d’auteur (telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour de justice) et les dispositions contractuelles devra être prise en compte. Car, si l’on peut éventuellement plaider qu’il y a épuisement du droit, qu’en est-il de l’interdiction contractuelle de revendre qui pourrait être prévue dans le contrat de licence/achat d’un fichier musical sur iTunes. Analysez donc les conditions générales d’un site comme iTunes (ou d’un autre site de musique en ligne à télédécharger). Il sera également utile de faire référence aux conditions générales (“terms of service”) proposées sur le site de ReDigi, en particulier les conditions prévues à l’article 5. Qu’en pensez-vous?

 

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