24 November 2013

Médias et numérique : expérimenter et expliquer

« Winter is coming… » Pour les acteurs du secteur des médias comme pour les protagonistes d’une série célèbre dont les producteurs ont salué le piratage comme un hommage et une promotion commerciale, il s’agit d’affronter la rigueur du changement climatique, de trouver la stratégie qui conduit à la survie – voire au succès – à travers les bouleversements provoqués par l’émergence d’une nouvelle ère. Face à ce constat, deux pistes majeures méritent d’être érigées en axes transversaux d’une politique ambitieuse en matière de médias : l’expérimentation et l’éducation à la culture du numérique.

Des mutations travaillent en profondeur l’écosystème des médias sous l’effet de l’importance toujours croissante de l’Internet dans la création et la distribution des contenus médiatiques. Pour les entreprises ‘traditionnelles’ (celles qui se sont développées avant l’éclosion des réseaux électroniques), elles se traduisent par la nécessité de s’adapter au contexte du numérique. Dans le même temps, d’autres acteurs font leur apparition : les « pure players », ceux qui ont choisi de n’exister que sur Internet (Mediapart, Apache.be) ou qui s’inventent sur le web une nouvelle vie (Arrêt sur Images), et l’explosion des contenus que l’on dit « produits par les utilisateurs ». A côté des producteurs de contenus, de nombreux fournisseurs de services intermédiaires jouent désormais un rôle prédominant dans la circulation de l’information et du divertissement : moteurs de recherche et réseaux sociaux s’attribuent d’ailleurs, dans l’économie de la conversation, du partage et de la recommandation, une part non négligeable des revenus publicitaires.

« Médias historiques en mutation et médias émergents se mêlent les uns aux autres. En télévision, les écrans sont devenus multiples. Et multi-usages. Les acteurs télévisuels principaux ont redéfini leur offre autour de leurs marques et ont amorcé des redéploiements stratégiques où la « télévision » n’est plus pensée en termes de chaîne, mais en termes de contenu multimédia. Des acteurs nouveaux ont émergé. D’autres sont sortis de leur champ d’action classique pour s’ouvrir à de nouveaux métiers. La chaîne de valeurs traditionnelle s’est brisée…» (M. Hanot, extrait de l’introduction de l’ouvrage Nouveaux écrans, nouvelle régulation, Larcier, 2013, p. 8).

Les mutations concernent également les pratiques : les métiers ne sont plus les mêmes. Ainsi, pris dans le rythme frénétique des conversation avec le public sur les réseaux sociaux, le journaliste répond désormais en direct de ses informations, il doit expliquer et justifier son travail dans une discussion argumentée avec des internautes dont certains possèdent un haut niveau de connaissance. L’époque invite à la fois à un retour au plus fort de la tradition du journalisme – la crédibilité, la fiabilité – et à l’exploration des  nouvelles techniques et des nouveaux formats, tels que par exemple le webdocumentaire, le data journalisme, ou les applications sur les mobiles. Dans ce contexte de changement rapide, l’expérimentation se présente comme l’une des voies de l’adaptation, de l’apprentissage et de la réussite. Les possibles à explorer portent sur des domaines variés qui vont de l’utilisation de nouveaux outils à la définition de modèles économiques appropriés (de nouvelles structures éditoriales plus petites et plus souples, la combinaison de sites web et de publication sur papier, …). 

L’innovation repose sur une attitude résolue d’ouverture au changement et au risque de l’expérimentation. En la matière, le défi est en quelque sorte de n’avoir pas peur d’avoir raison avant tout le monde, sans quoi l’on court le risque d’avoir tort après tout le monde. Mais si l’effort de l’expérimentation repose en premier lieu sur la créativité et le dynamisme des producteurs de contenus, encore convient-il que ceux-ci trouvent dans le cadre réglementaire et régulatoire l’appui qui leur permette de réaliser leurs projets ou de se remettre rapidement d’un éventuel échec. Un environnement favorable à l’innovation contribuerait également à dépasser la résistance au changement tant dans sa dimension culturelle que dans son ancrage dans le souci de rentabiliser des investissements pourtant en voie d’obsolescence. La curiosité d’explorer dans un contexte en mutation devrait être soutenue de façon générale pour devenir une condition de tout soutien public aux entreprises du secteur, quelle qu’en soit la forme (subside direct, incitant fiscal, prime…), et une composante de la formation initiale et permanente de tous ses métiers.

 

En parallèle, les bouleversements du monde des médias entraînent un besoin urgent et massif de comprendre et faire comprendre au plus grand nombre non seulement le fonctionnement des appareils numériques (ce qui rend possible la consommation des nouveaux formats), mais également les enjeux sociaux, culturels, politiques et économiques de l’évolution des paysages médiatiques, et de permettre au plus grand nombre de développer la capacité d’appréhension critique des contenus. En ce sens, Eric Schérer, directeur de la prospective chez France Télévision, évoquait en juillet sur son blog un « sentiment partagé que nos concitoyens ne comprennent pas vraiment la mutation en cours, qui constitue un basculement de paradigme productif et sociétal aussi important que la révolution industrielle ou l’invention de l’imprimerie. » Et il appelle à faire de l’éducation au numérique une “grande cause nationale”.

Comme en matière d’innovation, l’éducation à la culture du numérique constitue une question de politique des médias au sens large, car c’est un effort généralisé d’éducation permanente qui s’impose, à l’intention tant des professionnels que des différentes couches de la population.

 

A défaut de ce double engagement, il en ira du secteur des médias comme des protagonistes de la série Game of Thrones : dans la rigueur de la froide saison, les disparitions seront nombreuses

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