Comments for Les pommes Kanzi devant les juges de Luxembourg: pomme de discorde ou d’amour entre droit intellectuel et clause contractuelle

Sirjacobs Stéphanie  
Le titulaire d’une marque ou du droit d’une obtention végétale dispose d’un droit exclusif en vertu duquel il est habilité à interdire toute mise sur le commerce, tout usage fait par un tiers sans son consentement. Cependant, une exception est à relever. Cette dernière est contenue à l’article 7 de la directive 89/104/CEE qui dispose que le titulaire ne pourra plus…
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Le titulaire d’une marque ou du droit d’une obtention végétale dispose d’un droit exclusif en vertu duquel il est habilité à interdire toute mise sur le commerce, tout usage fait par un tiers sans son consentement.
Cependant, une exception est à relever. Cette dernière est contenue à l’article 7 de la directive 89/104/CEE qui dispose que le titulaire ne pourra plus interdire l’usage du produit dont il est le titulaire, si ce produit a déjà fait l’objet d’une mise sur le commerce dans le marché communautaire par lui ou avec son consentement.
Cette règle dite de l’épuisement communautaire vise entre autre à empêcher un monopole dans le chef du titulaire de la marque ou du droit d’obtention végétale. De fait, en l’absence de cette exception, ce dernier serait seul habilité à procéder à la commercialisation du produit, ce qui pourrait entraîner un cloisonnement communautaire.

Toutefois, à cette équation, une donnée nouvelle s’est ajoutée, à savoir les clauses contractuelles contenues dans les licences.
Une licence est un contrat par lequel le titulaire d’un droit va transférer cette titularité à un tiers. Toutefois, comme tout contrat, la licence contiendra, éventuellement des clauses, et plus précisément, des clauses d’exclusion, telle qu’une clause interdisant au licencié la mise sur le marché du produit dans un lieu X ou encore lui interdisant la vente ou le transfert de ce droit.
Dès lors, dans un schéma très complexe, vont coexister deux régimes juridiques à savoir le droit des contrats d’une part et le droit de la propriété intellectuelle d’autre part.
Aucune primauté n’a été établie, obligeant ainsi les juridictions à statuer au cas par cas.

En l’espèce, le problème concerne une licence dont l’une des clauses prévoyait l’interdiction de vendre ou de céder le produit qui faisait l’objet de la licence sans un accord préalable et écrit du titulaire premier (Art. 8 de la directive).
En violation de cette clause, le licencié a vendu des pommiers à des tiers, sans accord préalable.
La question fut dès lors de savoir si le titulaire premier peut introduire une action en contrefaçon ou pas et si l’épuisement communautaire est d’application ou non.
Dans une jurisprudence constante, la Cour de Justice de l’Union Européenne a admis qu’une mise sur le marché EEE avec une intention de vente, sans pour autant que la vente a effectivement eut lieu n’entrainait pas l’épuisement communautaire.
Pas plus ne l’entraîne la mise sur le marché opérée par un licencié en violation du contrat de licence.
Eut égard aux circonstances de l’affaire il me semble peu probable que la Cour fasse droit à l’interprétation selon laquelle il n’y a pas eu d’épuisement de la marque. De fait, la pomme Kanzi fait déjà l’objet d’une commercialisation, même si cette dernière ne s’opère que dans un réseau de distribution sélectif. Partant de ce point de vue-là, il semblerait que nous sommes dans une situation d’une violation d’une clause contractuelle plutôt que dans le régime des droits intellectuels.
Toutefois, quant à la demande pour contrefaçon, eut égard à l’affaire Copad opposant Dior à Copad, il semblerait qu’une action en contrefaçon serait admissible dans l’hypothèse où le produit en cause est un produit qui se distingue des autres de sa catégorie par un certain luxe, une certaine qualité. Sans qualifier la pomme de luxueuse, nous pouvons malgré tout retirer de la lecture de la publicité qui en faite.

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Céline D.  
L’arrêt Kanzi ayant été rendu, il conviendra donc de plutôt déterminer pourquoi la position de l’avocat général dans cet arrêt-ci s’éloigne des positions exprimées dans les arrêts Copad et Peak-Holding. En l’espèce Nicolaï est « l’obtenteur » d’une nouvelle variété de pommiers (Nicoter). Celle-ci produit des pommes de la marque Kanzi (pour autant que certaines exigences de qualité soient remplies).…
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L’arrêt Kanzi ayant été rendu, il conviendra donc de plutôt déterminer pourquoi la position de l’avocat général dans cet arrêt-ci s’éloigne des positions exprimées dans les arrêts Copad et Peak-Holding.
En l’espèce Nicolaï est « l’obtenteur » d’une nouvelle variété de pommiers (Nicoter). Celle-ci produit des pommes de la marque Kanzi (pour autant que certaines exigences de qualité soient remplies). Elle est la seule à produire ces pommes et met en œuvre la distribution de celles-ci via un réseau de distribution sélectif.
Un contrat de licence a été conclu entre Nicolaï et Better3fruit. Grâce a celui-ci Nicolai bénéficie d’un droit exclusif de culture et de commercialisation des pommiers de la variété Nicoter. Une clause prévoit que pour céder ou vendre un produit faisant l’objet de la licence, Nicolai se devra de d’abord obtenir du cocontractant une conclusion préalable de la convention de licence de culture ou commercialisation.
Plus tard une transaction aura lieu entre Nicolai et un tiers, où le tiers (M. Hustin) ne respectera aucune prescription particulière comme convenu dans le contrat de licence.
Le contrat de licence sera ensuite résilié entre Better3fruit et Nicolai. C’est GKE qui obtiendra pour les pommiers de la variété Nicoter, les droits d’exploitation exclusifs prévus par la protection communautaire des obtentions végétales. Devenue licenciée, GKE introduira un recours en contrefaçon contre MM Hustin et Goosens après avoir constaté que M. Goossens vendait des pommes de la marque Kanzi (pommes fournies par M. Hustin). Après interrogation de la Cour il sera admis que GKE est habilité en qualité de licenciée a introduire un tel recours.
Toutefois la règle de l’épuisement est à prendre en compte dans ce cas-ci. « « L’épuisement constitue une des limites des droits de propriété intellectuelle. Dès qu’un produit protégé par un droit de propriété intellectuelle a été commercialisé par votre PME ou par d’autres avec votre consentement, les droits de propriété intellectuelle sur l’exploitation commerciale de ce produit ne peuvent plus être exercés par votre PME car ils sont “épuisés”. Cette limitation est parfois aussi appelée la “théorie de la première vente” » (définition de l’OMPI).
Selon cette théorie de l’épuisement : « la protection communautaire des obtentions végétales ne s’étend pas aux actes concernant du matériel de la variété protégée qui a été cédé à des tiers par le titulaire ou avec son consentement en un lieu quelconque de l’Union européenne ».
Le recours en contrefaçon est dès lors soumis à la condition que le droit du titulaire ne soit pas épuisé.
La juridiction de renvoi se pose la question de savoir si, néanmoins, la jurisprudence de la Cour relative à la portée de ce principe de l’épuisement en matière de droit des marques est applicable par analogie. Question qui se pose en lien avec les arrêts Peak-Holding et Copad.
Dans l’arrêt Peak-Holing la Cour dit pour droit que « la stipulation dans un contrat de vente conclu entre le titulaire de la marque et un opérateur établi dans l’Espace économique européen, d’une interdiction de revente dans celui-ci n’exclut pas qu’il y ait mise dans le
commerce dans l’Espace économique européen et ne fait donc pas obstacle à l’épuisement ».

En principe « la mise dans le commerce de produits revêtus de la marque par un licencié doit être considérée, en principe, comme effectuée avec le consentement du titulaire de la marque » . Même si ce contrat de licence n’est pas à assimiler à un consentement absolu et inconditionné du titulaire ! (arrêt du 23 avril 2009, Copad, point 46 et 47).
Ici la position de l’avocat général change en ce qu’il constate que la violation d’une clause du contrat de licence ne « saurait avoir pour conséquence que le consentement du titulaire ferait toujours défaut. En particulier, ce consentement ne saurait être considéré comme faisant défaut dans l’hypothèse où le licencié enfreindrait une disposition du contrat de licence qui n’affecte pas le consentement à la mise dans le commerce et donc pas non plus l’épuisement du droit du titulaire ».
La juridiction de renvoi devra dès lors constater si le matériel protégé cédé par le licencié porte sur les éléments essentiels de la protection communautaire des obtentions végétales, auquel cas il conviendrait de conclure que la cession à eu lieu sans le consentement du titulaire et partant n’emporte pas l’épuisement du droit. Tandis que « la violation de dispositions contractuelles de toute autre nature dans le contrat de licence n’empêche pas l’épuisement du droit du titulaire ».

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Alain Strowel
Merci, vous avez bien résumé l'affaire. Une affaire qui s'efforce de tracer la délimitation entre le champ d'une action en contrefaçon et celle d'une action fondée sur une disposition contractuelle ne correspondant pas au champ de l'exclusivité conférée par le droit intellectuel. Tout dépend donc de la qualification de la violation de la disposition contractuelle en cause: si elle porte directement…
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Merci, vous avez bien résumé l’affaire. Une affaire qui s’efforce de tracer la délimitation entre le champ d’une action en contrefaçon et celle d’une action fondée sur une disposition contractuelle ne correspondant pas au champ de l’exclusivité conférée par le droit intellectuel.
Tout dépend donc de la qualification de la violation de la disposition contractuelle en cause: si elle porte directement sur un des éléments essentiels de la protection des obtentions végétales, alors il faut conclure qu’il n’y a pas de consentement, donc d’épuisement. La conclusion inverse s’impose, lorsque la disposition violée ne porte pas sur un acte tombant dans le champ de la protection, mais sur un autre aspect. Reste à savoir en pratique ce qui porte directement sur un des éléments essentiels de la protection des obtentions végétales. L’article 13 du Règlement définit l’étendue des actes tombant dans le champ de l’exclusivité

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Pochet Nicolas  
Maintenant que l'arrêt a été rendu par LA C.J.U.E., il n'est plus difficile de se rendre compte que l'Avocat Général n'a pas été suivi dans ses conclusions. Mais il reste intéressant d'essayer de comprendre pourquoi. Dans l'affaire Peak Holding, la Cour aboutit à la conclusion que l'offre de vente constitue un épuisement de la marque, tandis que une simple importation dans…
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Maintenant que l’arrêt a été rendu par LA C.J.U.E., il n’est plus difficile de se rendre compte que l’Avocat Général n’a pas été suivi dans ses conclusions. Mais il reste intéressant d’essayer de comprendre pourquoi.

Dans l’affaire Peak Holding, la Cour aboutit à la conclusion que l’offre de vente constitue un épuisement de la marque, tandis que une simple importation dans l’ EEE n’est pas une offre de vente et n’emporte donc pas l’épuisement de la marque. Le fait même de mettre à la vente sur le marché européen emporte l’épuisement, que cette mise en vente soit contraire à la convention des parties ou non.

Dans l’affaire Copad, le licencié d’une marque de luxe a revendu certains produits portant cette marque prestigieuse en méconnaissance de ses obligations contractuelles. Là, la Cour a considéré que la marque de luxe pouvait s’opposer à cette mise en vente.
L’avocat général n’est pas d’accord avec cet arrêt. Tout d’abord parce que, selon lui, le droit communautaire relatif à l’épuisement ne permet d’interdire que aux licenciés du droit de la marque et non aux tiers; et que ce droit s’ajoute aux dispositions contractuelles. Ensuite parce que s’il fallait demander l’autorisation au titulaire du droit à chaque mise en vente alors que l’on dispose d’un contrat de licence, cela serait, toujours selon l’avocat général, contraire au principe de libre circulation des marchandises.

Le droit d’épuisement, qui constitue une exception au droit d’action en contrefaçon du droit de la marque, est prévu à l’article 2.22, al. 3 CBPI. Mais cet exception au droit des marques connait une exception. Cet article stipule: ” le droit exclusif n’implique pas le droit de s’opposer à l’usage de la marque (…), à moins que des motifs légitime ne justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise en commerce”
A mon avis, toute la question ici est de savoir si le mot “notamment” implique que ce qui le suit est exhaustif ou non. C’est à dire, de savoir si il n’y a que la modification ou l’altération des produits qui permettent l’exception à l’épuisement ou non.

Dans l’affaire Peak Holding, il n’y avait pas eu altération ou modification des produits. Il n’y avait donc pas d’épuisement puisqu’on était en permanence resté sur le territoire EEE.
Dans l’affaire Copad, il n’est pas question de modification ou d’altération des produits. Mais comme la Cour semble considéré que la marque de luxe peut s’opposer, ce doit être en vertu des « motifs légitimes ». Maintenant que nous savons que l’épuisement ne s’opère pas uniquement quand il y a modification ou altération du produit, penchons nous sur notre cas.

Dans le cadre de l’affaire qui nous occupe, est-ce qu’il y a épuisement? Apparemment oui, puisque et les pommiers et les pommes sont commercialisés. Et peu importe de savoir si cela est fait conformément à la convention des parties ou non (Peak).
Mais tombons-nous dans l’exception à l’épuisement? Oui dit la Cour puisqu’elle autorise une action en contrefaçon contre le tiers qui a obtenu en méconnaissance du contrat entre le titulaire et le licencié les plans « pour autant que les conditions ou les limitations en question portent directement sur les éléments essentiels de la protection communautaire des obtentions végétales concernées ». Il semble que nous soyons ainsi dans les « motifs légitimes » qui permettent de quand même intenter une action en contrefaçon.

L’avocat général n’a ainsi pas été suivi dans son raisonnement par la Cour, qui lui a préféré sa jurisprudence. Pour autant, l’Avocat Général n’a pas tort en disant que c’est Better3fruit qui devrait agir contre Nicolaï, en méconnaissance du contrat de licence.
Mais la Cour ne s’occupe que du cas présent. Cependant la nouvelle limite substantielle qu’elle créée à l’épuisement pourrait peut-être, comme le dit l’Avocat Général, être contraire au principe de la libre circulation des marchandises. A voir…

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Marie Toussaint  
GKE est licencié des droits d’exploitation conféré par la protection communautaire des obtentions végétales. Nicolaï, précédent licencié ayant un droit exclusif de commercialisation, méconnait une clause du contrat de licence qui stipulait qu’il ne pouvait céder ou vendre les produits, à savoir les pommiers, à des tiers sans l’accord du cocontractant. Malgré la clause, Nicolaï vend les produits. GKE décide…
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GKE est licencié des droits d’exploitation conféré par la protection communautaire des obtentions végétales. Nicolaï, précédent licencié ayant un droit exclusif de commercialisation, méconnait une clause du contrat de licence qui stipulait qu’il ne pouvait céder ou vendre les produits, à savoir les pommiers, à des tiers sans l’accord du cocontractant. Malgré la clause, Nicolaï vend les produits.

GKE décide d’agir en contrefaçon à l’encontre des tiers à qui Nicolaï avait vendu les pommiers. GKE applique par analogie le raisonnement qu’a suivi la Cour dans son arrêt Copad. Ledit arrêt affirme que la méconnaissance par le licencié d’une clause prévue par un contrat de licence, à savoir la mise des produits sur le marché, est réputée avoir eu lieu sans le consentement du titulaire et n’a pas pour effet d’épuiser le droit du titulaire. Par conséquent, celui conserve le droit d’agir en contrefaçon.

L’avocat général s’oppose à cette interprétation de la Cour. En effet, selon lui, le cas d’espèce relève davantage du droit des contrats plutôt que du droit de la propriété intellectuel. L’avocat général s’appuie sur l’arrêt Peak Holding. Dans cet arrêt, la Cour avait admis que les stipulations contenues dans les contrats ne s’opposent pas à l’épuisement car celui-ci n’était en rien conditionné par un consentement du titulaire à une commercialisation. En effet, l’épuisement se produit par la seule mise dans le commerce du produit dans l’EEE par le titulaire. Ainsi, selon l’avocat général, « la protection communautaire des obtentions végétales ne s’étend pas aux actes du matériel de la variété protégée qui a été cédé à des tiers par le titulaire ». En d’autres mots, la protection est épuisée une fois que la cession a eu lieu et le droit commun des contrats s’applique. Dès lors, étant donné que Nicolaï a vendu les produits à des tiers et de ce fait a épuisé ses droits, GKE n’est plus en droit d’invoquer son droit d’agir en contrefaçon.

La Cour de justice va-t-elle suivre les conclusions de l’avocat général ? Il est difficile de le prédire car l’analyse de l’avocat général va à l’encontre de l’interprétation rendue par la Cour dans l’arrêt Copad. Je n’ai malheureusement pas d’idée des suites que prendra l’affaire…

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Guillaume Elleboudt  
L’affaire C 16/03 Peak Holding c. Axolin-Elinor concerne la vente de vêtements de la marque Peak Performance (détenue par Peak Holding) par le magasin Factory Outlet (Axolin-Elinor étant la nouvelle dénomination de Factory Outlet) en Suède. Factory Outlet est un magasin qui vend des vêtements et accessoires généralement obtenus en-dehors des circuits de distribution ordinaires et qui, fin 2000, vendait un…
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L’affaire C 16/03 Peak Holding c. Axolin-Elinor concerne la vente de vêtements de la marque Peak Performance (détenue par Peak Holding) par le magasin Factory Outlet (Axolin-Elinor étant la nouvelle dénomination de Factory Outlet) en Suède.

Factory Outlet est un magasin qui vend des vêtements et accessoires généralement obtenus en-dehors des circuits de distribution ordinaires et qui, fin 2000, vendait un grand lot de vêtements Peak Peformance à moitié prix en Suède.

Ce lot avait été acheté à COPAD International qui l’avait lui-même acheté à Peak Performance. Toutefois, le contrat entre Peak Performance et COPAD stipulait que ce dernier ne pouvait pas vendre le lot de vêtements dans plusieurs pays européens dont la Suède. Factory Outlet soutient qu’il n’était pas au courant de cette clause.

Peak Holding veut interdire la vente de ses produits par Factory Outlet car il estime que les « modalités de commercialisation choisies par Factory Outlet » (1), notamment les publicités annonçant la vente à moitié prix, portent atteinte à ses droits de marque.

Factory Outlet soutient que les vêtements qu’il vend ont déjà été mis sur le marché dans l’EEE (Espace économique européen) par Peak Holding et donc qu’en vertu de l’article 7 § 1 de la Directive 89/104/CEE (2), l’épuisement du droit conféré par la marque empêche Peak Holding d’interdire la vente de ces produits.

La CJUE va répondre à la question préjudicielle sur l’épuisement en faveur de Peak Holding, à savoir que « l’article 7, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que des produits revêtus d’une marque ne peuvent pas être considérés comme ayant été mis dans le commerce dans l’EEE lorsque le titulaire de la marque les a importés dans l’EEE en vue de les vendre dans celui-ci ou lorsqu’il les a offerts à la vente à des consommateurs dans l’EEE, dans ses propres magasins ou dans ceux d’une société apparentée, mais sans parvenir à les vendre. » (3). Le fait de ne pas être parvenu à vendre ses produits, malgré l’offre à la vente, fait que l’épuisement n’a pas eu lieu, le produit n’a pas été mis dans le commerce selon la Cour.

La deuxième question préjudicielle cherche à savoir l’effet d’une clause contractuelle sur l’épuisement du droit conféré par la marque.
En effet, Peak Holding avait vendu ses marchandises à COPAD à condition qu’elles ne soient pas vendues dans le marché commun. La Cour a décidé que cela ne faisait pas obstacle à l’épuisement. En effet, l’épuisement « se produit par le seul effet de la mise dans le commerce dans l’EEE par le titulaire. » (4) et la Cour précise que les clauses contractuelles concernant le droit de revente ne concerne que les parties impliquées dans le contrat et pas les tiers.

L’affaire C 59/08 Copad c. Christian Dior concerne l’acquisition par Copad de produits de la marque Dior. Ces produits avaient à l’origine été vendus par Dior à SIL et le contrat stipulait que la marchandise ne pouvait pas être revendue, entre autres, à des soldeurs. Or, justement, Copad est une entreprise qui exerce l’activité de soldeur et SIL a donc revendu les produits en ne respectant pas la clause contractuelle.
C’est pourquoi Dior attaque SIL et Copad pour contrefaçon de marque.

La Cour cherche à savoir si « une clause d’un contrat de licence interdisant au licencié, pour des raisons de prestige de la marque, de vendre à des soldeurs des produits revêtus de la marque ayant fait l’objet de ce contrat relève de l’article 8, paragraphe 2, de la directive » (5).
La Cour a dit que l’article 8 § 2 de la Directive peut être invoqué par le titulaire de la marque, ici Dior, « pour autant qu’il soit établi que cette violation, en raison des circonstances propres à l’affaire au principal, porte atteinte à l’allure et à l’image de prestige qui confèrent auxdits produits une sensation de luxe » (6).

Dans la suite directe de cette question, la Cour va « préciser dans quelles circonstances la mise dans le commerce par le licencié, en violation d’une clause du contrat de licence » (7), des produits en question doit être considérée comme étant effectuée sans le consentement du titulaire de la marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la directive.

La Cour dit qu’il « convient de répondre à la deuxième question que l’article 7, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que la mise dans le commerce de produits revêtus de la marque par le licencié, en méconnaissance d’une clause du contrat de licence, est faite sans le consentement du titulaire de la marque, lorsqu’il est établi que cette clause correspond à l’une de celles prévues à l’article 8, paragraphe 2, de cette directive. » (8). La Cour précise, que les clauses énoncées à l’article 8 § 2 le sont de manière exhaustive (9).

Après avoir analysé ces deux arrêts rendus par la CJUE, concentrons-nous à présent sur l’affaire Kanzi (C-140/10).

La question qui nous intéresse dans cette affaire « vise à savoir si la protection communautaire des obtentions végétales permet au titulaire ou au licencié du droit d’intenter une action en contrefaçon contre toute personne qui accomplit des actes portant sur le matériel vendu ou cédé à cette personne par le licencié “lorsque les limitations stipulées dans la convention de licence conclue entre le licencié et le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales n’ont pas été respectées dans le cadre de la vente de ce matériel”? » (10).

Au § 35, l’avocat général nous éclaire sur l’utilité du règlement n° 2100/94 qui « établit une protection plus étendue pour les constituants variétaux (en l’espèce, les pommiers) que pour les produits de récolte (ici, les pommes). Ainsi, l’autorisation du titulaire est requise pour les actes de commercialisation des pommiers en tant que constituants variétaux, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, mais, s’agissant des pommes en tant que matériel de récolte, une telle autorisation n’est requise que dans les cas prévus à l’article 13, paragraphe 3. » (11).

M. Goossens ne vend que le produit des récoltes (les pommes Kanzi) et ne devra donc demander l’autorisation du titulaire de la protection des obtentions végétales pour la commercialisation seulement si « le matériel de récolte a été obtenu par l’utilisation non autorisée de constituants variétaux de la variété protégée et sauf si le titulaire a raisonnablement pu exercer son droit en relation avec lesdits constituants variétaux. » (12).

Pour traiter de la question de l’épuisement, la Cour se réfère à l’arrêt Peak Holding ainsi qu’à l’arrêt Copad. Un parallèle est fait entre l’interprétation de l’article 8 § 2 de la directive 89/104 dans l’affaire Copad et l’interprétation que la Cour doit rendre sur l’article 16 du règlement n° 2100/94. En effet, « plusieurs parties ont induit dudit arrêt Copad qu’il existait un lien entre l’interprétation des effets des contrats de licence mentionnés à l’article 27, paragraphe 2, du règlement n° 2100/94 et l’épuisement prévu à l’article 16 de ce même règlement » (13).

Il ressort des ces arguments que la Cour va probablement rendre un jugement dans la continuité de l’arrêt Copad, c’est-à-dire que les clauses contractuelles, dans la convention de licence, qui seraient violées par le licencié peuvent bloquer l’épuisement du droit de la marque et que le tiers ne pourrait donc pas mettre le produit sur le marché sans l’autorisation du titulaire de le marque. De plus, dans le domaine de la protection communautaire des obtentions végétales, à l’article 27 § 2 du règlement n° 2100/94, la liste des clauses n’est pas exhaustive contrairement à l’article 8 § 2 de la directive 89/104 (14).

Toutefois, l’avocat général, au travers de trois objections, ne partage pas l’avis de la Cour dans l’affaire Copad (15). Dans un premier temps, il souligne que les dispositions concernant la possibilité d’invoquer un droit de propriété intellectuelle par un titulaire à l’encontre de son licencié ne précisent en aucun cas que ce droit peut aussi faire obstacle à l’épuisement à l’encontre d’un tiers. Ensuite, il précise que ces dispositions permettent d’invoquer « les droits conférés par le dessin ou modèle communautaire à l’encontre d’un licencié qui enfreint l’une des clauses du contrat de licence » (16), en plus de la protection accordée par le droit des contrats (17). Enfin, il avertit la Cour qu’une interprétation où le consentement du titulaire est lié à des clauses contractuelles « dans le cadre de l’épuisement à l’égard des tiers […] semble entraver la concurrence et la libre circulation des marchandises d’une façon peu compatible avec la jurisprudence de la Cour » (18).

Il est fort probable que la Cour suive ses propres arguments venant de l’affaire Copad pour donner son interprétation dans l’affaire Kanzi. Elle autoriserait de ce fait qu’un titulaire de droits d’obtention végétale et de marque fasse valoir des conditions conventionnelles valables entre lui et son licencié afin de bloquer l’épuisement à l’égard d’un tiers.

Il nous parait, cependant, sage d’écouter les arguments de l’avocat général qui nous fait remarquer que l’usage de clauses contractuelles dans le contexte de l’épuisement à l’égard de tiers n’est pas spécifié dans les dispositions en cause et qu’une telle interprétation serait contraire à la concurrence et à la libre circulation des marchandises.

(1) C.J.U.E., 30 novembre 2004 (Peak Holding AB c. Axolin-Elinor AB), C-16/03, http://www.curia.eu, § 15.
(2) Directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), telle que modifiée par l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3).
(3) C.J.U.E., 30 novembre 2004 (Peak Holding AB c. Axolin-Elinor AB), C-16/03, http://www.curia.eu, § 44.
(4) C.J.U.E., 30 novembre 2004 (Peak Holding AB c. Axolin-Elinor AB), C-16/03, http://www.curia.eu, § 54.
(5) C.J.U.E., 23 avril 2009 (Copad SA c. Christian Dior couture SA), C-59/08, http://www.curia.eu, § 15.
(6) C.J.U.E., 23 avril 2009 (Copad SA c. Christian Dior couture SA), C-59/08, http://www.curia.eu, § 37.
(7) C.J.U.E., 23 avril 2009 (Copad SA c. Christian Dior couture SA), C-59/08, http://www.curia.eu, § 38.
(8) C.J.U.E., 23 avril 2009 (Copad SA c. Christian Dior couture SA), C-59/08, http://www.curia.eu, § 51.
(9) C.J.U.E., 23 avril 2009 (Copad SA c. Christian Dior couture SA), C-59/08, http://www.curia.eu, § 49.
(10) https://www.ipdigit.eu/2011/11/les-pommes-kanzi-devant-les-juges-de-luxembourg-pomme-de-discorde-ou-damour-entre-droit-intellectuel-et-clause-contractuelle/
(11) C.J.U.E., 7 juillet 2011 (Greenstar Kanzi Europe NV c. Jean Hustin, Jo Goossens), C-140/10, http://www.curia.eu (concl. Av. gén. JÄÄSKINEN), § 35.
(12) C.J.U.E., 7 juillet 2011 (Greenstar Kanzi Europe NV c. Jean Hustin, Jo Goossens), C-140/10, http://www.curia.eu (concl. Av. gén. JÄÄSKINEN), § 36.
(13) C.J.U.E., 7 juillet 2011 (Greenstar Kanzi Europe NV c. Jean Hustin, Jo Goossens), C-140/10, http://www.curia.eu (concl. Av. gén. JÄÄSKINEN), § 44.
(14) C.J.U.E., 7 juillet 2011 (Greenstar Kanzi Europe NV c. Jean Hustin, Jo Goossens), C-140/10, http://www.curia.eu (concl. Av. gén. JÄÄSKINEN), § 44.
(15) C.J.U.E., 7 juillet 2011 (Greenstar Kanzi Europe NV c. Jean Hustin, Jo Goossens), C-140/10, http://www.curia.eu (concl. Av. gén. JÄÄSKINEN), § 46.
(16) Article 32 § 2 du règlement n° 6/2002.
(17) C.J.U.E., 7 juillet 2011 (Greenstar Kanzi Europe NV c. Jean Hustin, Jo Goossens), C-140/10, http://www.curia.eu (concl. Av. gén. JÄÄSKINEN), § 48.
(18) C.J.U.E., 7 juillet 2011 (Greenstar Kanzi Europe NV c. Jean Hustin, Jo Goossens), C-140/10, http://www.curia.eu (concl. Av. gén. JÄÄSKINEN), § 49.

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Alain Strowel

Très bien (bonne lecture, souci d’approfondir). Vous auriez dû commencer par l’affaire Kanzi avant de revenir sur les autres affaires, en intégrant de manière plus brève l’enseignement de ces autres arrêts. Vous avez bien anticipé l’arrêt de la Cour de justice maintenant disponible… Bonne lecture!

Saudemont Yvie  
La première question posée par la Cour de cassation vise donc à savoir si la protection communautaire des obtentions végétales permet au titulaire ou au licencié du droit d’intenter une action en contrefaçon contre toute personne qui accomplit des actes portant sur le matériel vendu ou cédé à cette personne par le licencié « lorsque les limitations stipulées dans la convention…
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La première question posée par la Cour de cassation vise donc à savoir si la protection communautaire des obtentions végétales permet au titulaire ou au licencié du droit d’intenter une action en contrefaçon contre toute personne qui accomplit des actes portant sur le matériel vendu ou cédé à cette personne par le licencié « lorsque les limitations stipulées dans la convention de licence conclue entre le licencié et le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales n’ont pas été respectées dans le cadre de la vente de ce matériel »?
Voyons ce que les arrêts Copad et Peak Holding nous enseignent.
Selon l’arrêt Peak Holding, à la première question qui lui est posée, la Cour répond que lorsque le titulaire de la marque importe ses produits en vue de les vendre dans l’EEE ou de les proposer à la vente, il ne les met pas dans le commerce au sens de l’article 7, §2 de la directive. Dans ce cas, puisque les produits ne sont pas mis dans le commerce, il n’y a pas d’épuisement du droit exclusif du titulaire (voir § 41 à 43 de l’arrêt).
La troisième question qui lui est posée est la suivante: la juridiction de renvoi demande en substance si, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, la stipulation, dans un contrat de vente conclu entre le titulaire de la marque et un opérateur établi dans l’EEE, d’une interdiction de revente dans celui-ci exclut qu’il y ait mise dans le commerce dans l’EEE au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la directive et fait donc obstacle à l’épuisement du droit exclusif du titulaire en cas de revente dans l’EEE en violation de l’interdiction. La Cour considère que la stipulation de restrictions territoriales au droit de revente des produits dans le contrat de vente ne concerne que les seuls rapports des parties. Et que dans ce cas, la stipulation ne saurait pas faire obstacle à l’épuisement. Elle répond donc à la question, en considérant que la stipulation d’une interdiction de revente n’exclut pas qu’il y ait eu une mise dans le commerce dans l’EEE. Ainsi, si il y a eu une mise dans le commerce au sens de l’article 7, §2 de la directive, il n’y a pas d’obstacle à l’épuisement du droit exclusif du titulaire de la marque.
Retenons de l’enseignement de l’arrêt Peak Holding qu’une stipulation d’interdiction de revente dans l’EEE n’exclut pas qu’il y ait eu une mise dans le commerce dans l’EEE, dans ce cas, il y a épuisement du droit exclusif du titulaire de la marque.
S’il fallait répondre à la question posée par la Cour de cassation, à la lumière de l’arrêt Peak Holding, on pourrait dire que suite à la mise dans le commerce du matériel vendu, (avec l’autorisation du titulaire de la marque au licencié), il peut sembler qu’il y ait épuisement. Dans ce cas, le titulaire de la marque ne peut pas intenter d’action en contrefaçon.
L’arrêt Copad nous enseigne que dans le cas où il y a eu vente en méconnaissance de la clause interdisant la revente à des soldeurs, cette vente a été effectuée sans le consentement du titulaire de la marque. On considère dans cette affaire que le contrat de licence n’équivaut pas à un consentement absolu et inconditionné du titulaire de la marque à la mise dans le commerce par le licencié.
La Cour estime que la directive doit être interprétée dans le sens que la mise dans le commerce de produits revêtus de la marque par le licencié, en méconnaissance d’une clause du contrat de licence, fait obstacle à l’épuisement du droit conféré par la marque à son titulaire au sens de la directive, lorsqu’il est établi que cette clause correspond à l’une de celles prévues à l’article 8 §2 de la directive.
S’il fallait répondre à la question posée par la Cour de cassation, à la lumière de l’arrêt Copad, on pourrait dire que Nicolaï n’a pas respecté l’obligation imposée par la licence, et que dans ce cas, la mise dans le commerce des produits revêtus de la marque par le licencié fait obstacle à l’épuisement du droit conféré par la marque à son titulaire. Dans ce cas, GKE pourrait agir en contrefaçon contre M. Hustin et M. Goosens.
Cependant, l’avocat général Jääskinen, ne partage pas l’interprétation faite par la Cour dans l’affaire Copad. Il considère tout d’abord, que « les dispositions des actes législatifs de l’Union portant sur la possibilité pour le titulaire d’invoquer son droit de propriété intellectuelle à l’encontre du licencié ne contiennent aucune indication quant à la possibilité d’invoquer également ce droit à l’encontre des tiers dans le contexte de l’épuisement ». Et il estime que ces dispositions offrent la possibilité d’invoquer ces moyens de protection à l’encontre du licencié. Enfin, l’avocat général considère qu’ « une interprétation qui lie la notion de consentement du titulaire, dans le cadre de l’épuisement à l’égard de tiers, aux conditions conventionnelles ayant nécessairement un effet relatif me semble entraver la concurrence et la libre circulation des marchandises d’une façon peu compatible avec la jurisprudence de la Cour, notamment en ce qui concerne la possibilité d’invoquer à l’encontre des tiers les limitations territoriales imposées au licencié ».
L’avocat général propose à la Cour de répondre à la première question préjudicielle par la négative car il estime que « le fait que Nicolaï n’ait pas respecté ses obligations visant à sauvegarder la sélectivité de la production et de la commercialisation des pommes Kanzi, en omettant d’exiger de ses cocontractants la conclusion préalable d’une convention de licence de culture, voire d’une convention de licence de commercialisation, ne permet pas de conclure que Nicolaï aurait cédé du matériel de la variété protégée sans le consentement du titulaire. Par la licence qu’il a octroyée à Nicolaï, Better3fruit l’a expressément autorisé à vendre des pommiers Nicoter. En cédant par ce biais à Nicolaï les droits de commercialisation du matériel protégé, Better3fruit a exploité la valeur économique de son droit exclusif. Si Nicolaï ne se conforme pas aux obligations contractuelles qu’ il a envers Better3fruit, c’est ce dernier, et non un tiers, qui doit supporter les conséquences qui en découlent. Selon moi, une violation des conditions attachées à une autorisation préalable ne saurait être assimilée, en droit, à une absence d’autorisation opposable aux tiers ».
La CJUE est face à un choix: suivre les conclusions de l’avocat général ou suivre sa jurisprudence Copad. La jurisprudence Copad est assez récente (23 avril 2009), tout laisse donc à penser que la CJUE va suivre cette jurisprudence, malgré la position négative de l’avocat général à cet égard. Il ne semble pas que la CJUE va accomplir un revirement de jurisprudence.

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Carpentier Nicolas  
Au moment de commencer la rédaction de ce commentaire, la Cour a déjà rendu son arrêt concernant l’affaire Kanzi. Il ne s’agit donc plus d’anticiper la décision de la Cour mais de l’analyser et de la comparer avec les conclusions de l’avocat général. Afin de bien comprendre le raisonnement de la Cour, concernant la résolution de la question préjudicielle posée…
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Au moment de commencer la rédaction de ce commentaire, la Cour a déjà rendu son arrêt concernant l’affaire Kanzi. Il ne s’agit donc plus d’anticiper la décision de la Cour mais de l’analyser et de la comparer avec les conclusions de l’avocat général.
Afin de bien comprendre le raisonnement de la Cour, concernant la résolution de la question préjudicielle posée par la Cour de cassation de Belgique, il est intéressant de procéder par étapes.
Tout d’abord, La Cour estime que, en application de l’article 94 du règlement n° 2100/94, le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales a la faculté d’intenter une action en contrefaçon contre « toute personne » qui accomplit, sans autorisation, un des actes visés à l’article 13 paragraphe 2 dudit règlement.
L’article 104 dudit règlement étend cette faculté au licencié, sauf accord contraire entre le licencié et le titulaire de la protection. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
GSK, licencié actuel du droit d’exploitation exclusif, a donc la faculté d’intenter l’action en contrefaçon contre « toute personne » qui accomplit, sans autorisation, un des actes visés à l’article 13 paragraphe 2 dudit règlement. En l’espèce il s’agit de MM. Hustin et Goosens.
Néanmoins, l’article 16 du règlement 2100/94 précise qu’il y a épuisement du droit du titulaire si « le matériel de la variété protégée a été cédé à des tiers par le titulaire ou avec son consentement (…) ». Un tel épuisement du droit du titulaire, aurait pour conséquence d’enlever à GSK la possibilité d’introduire un recours en contrefaçon.
Pour rappel, le matériel de la variété protégée a été cédé à un tiers, M. Hustin, par le premier licencié, Nicolaï, en ne respectant pas les obligations contractuelles qu’il avait envers le titulaire de la protection, better3fruit.
La Cour estime, d’après l’enseignement de son arrêt Copad., que « le contrat de licence n’équivaut pas à un consentement absolu et inconditionné du titulaire à la mise dans le commerce, par le licencié, des produits revêtus de cette marque ».
Elle précise tout de même que, cependant, la ratio legis du principe d’épuisement est de garantir que la protection dont jouit le titulaire ne soit pas excessive (14ème considérant du règlement 2100/94).
La Cour décide donc qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si les clauses du contrat qui n’ont pas été respectées portaient sur des éléments essentiels de la protection communautaire des obtentions végétales, c’est-à-dire des éléments qui affectent le consentement du titulaire.
Dans l’affirmative, le droit n’est pas épuisé et le licencié peut introduire un recours en contrefaçon.
L’avocat général envisageait, dans ses conclusions, le raisonnement de la Cour présenté ci-dessus. Cependant, il estime que le contrat de licence doit avoir un effet relatif et que, dès lors, si Nicolaï ne respecte pas ses engagements envers better3fruit, c’est ce dernier qui doit en subir les conséquences et non pas un tiers.
Par ailleurs, l’avocat général estime que si les clauses du contrat de licence seraient opposables au tiers, cela rendrait la protection du titulaire excessive et donc incompatible avec le considérant 14 du règlement 2100/94.
L’avocat général arrive donc à la conslusion que le droit du titulaire est épuisé, ce qui empêche le licencié d’introduire un recours en contrefaçon.
On constate donc que les conclusions de l’avocat général et l’arrêt rendu par la Cour prennent des directions opposées.
L’avocat général est favorable à une solution de droit contractuel. Il estime, en effet, que la convention conclue entre le titulaire du droit et le premier licencié a un effet relatif. Par conséquent, même si les clauses de ce contrat de licence n’ont pas été respectées, la cession du matériel à un tiers engendre l’épuisement du droit. L’action en contrefaçon n’est pas envisageable.
La Cour rapelle, quant à elle, que pour qu’il y ait épuisement du droit, le consentement de son titulaire est indispensable, et cela, malgré l’effet relatif du contrat de licence. A défaut de consentement, le droit n’est pas épuisé et l’action en contrefaçon est envisageable.
Cette décision consacre la jurisprudence antérieure de la Cour (Copad. Et Peak holding) et est favorable aux droits intellectuels.

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Adélaïde Nys  
La question est de savoir si un (nouveau) licencié (et non pas un titulaire en l’occurrence) peut introduire une action en contrefaçon contre un tiers qui conclu un contrat de vente avec un autre (ancien) licencié sur un produit protégé, et ce sans respecter les conditions du contrat de licence. Cette question aborde la question épineuse du lien entre le…
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La question est de savoir si un (nouveau) licencié (et non pas un titulaire en l’occurrence) peut introduire une action en contrefaçon contre un tiers qui conclu un contrat de vente avec un autre (ancien) licencié sur un produit protégé, et ce sans respecter les conditions du contrat de licence. Cette question aborde la question épineuse du lien entre le droit intellectuel (principe d’épuisement, étendue de la protection) et le droit contractuel (relativité des effets d’une convention à l’égard de tiers).

Si ce droit d’action est expressément reconnu au titulaire de la protection (article 94, § 1 du règlement n°2100/94) à l’encontre d’un tiers répondant à certaines conditions, la cour devra se prononcer sur la possibilité d’exercice de ce droit par le licencié. L’article 104, § 1 du règlement n°2100/94 autorise le licencié à intenter l’action en contrefaçon à la place du titulaire. Il n’y a donc pas de problème en terme du droit d’action du licencié.

Toutefois, il faut prendre en compte le principe de l’épuisement. En effet, la règle, contenue à l’article 16 du règlement n°2100/94 dispose que la protection communautaire des obtentions végétales ne s’étend pas aux actes concernant du matériel de la variété protégée qui a été cédée à des tiers par le titulaire ou avec son consentement en un lieu quelconque de l’Union européenne. La Cour devra donc examiner si les droits du licencié ayant introduit l’action sont épuisés ou non, n’ayant jamais interprété la portée de la règle d’épuisement (en ce qui concerne les protections d’obtention végétales), en particulier la question du consentement du titulaire.

Par analogie, deux arrêts de la Cour peuvent être pertinents en la matière, à savoir les arrêts Peak Holding (C-16/03) et Copad (C-59/08). Ceux-ci traitent du principe d’épuisement en matière de droit de la marque.

Dans la première décision, la Cour a analysé les effets de non‑respect d’une interdiction de revente d’un contrat de vente portant sur des produits revêtus d’une marque conclu entre le titulaire de la marque et un opérateur. Selon la Cour, une telle interdiction de revente concerne les seuls rapports des parties à cet acte. Dès lors, cette stipulation n’exclut pas qu’il y ait mise dans le commerce au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 89/104 et ne fait donc pas obstacle à l’épuisement du droit exclusif du titulaire en cas de revente illicite.

Dans la deuxième affaire, la Cour a indiqué que la mise dans le commerce de produits revêtus de la marque par le licencié, en méconnaissance d’une clause de la convention de licence, est faite sans le consentement du titulaire de la marque, lorsqu’il est établi que cette clause correspond à l’une de celles prévues à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 89/104. Il y a donc une affirmation de la Cour selon laquelle une mise dans le commerce par le licencié est considérée comme en principe être faite avec le consentement du titulaire. La haute juridiction insiste cependant sur le fait que le contrat de licence n’équivaut pas à un consentement absolu et inconditionné du titulaire à la mise dans le commerce des produits protégés par le licencié (voir § 47 de l’arrêt).

C’est sur ce point que l’avis de l’avocat général de la Cour diverge. En effet, celui-ci remarque que les parties requérantes en l’espèce ont fait un lien entre l’article 27, § 2 du règlement n°2100/94 et la règle de l’épuisement de l’article 16 du même règlement. Mais, souligne-t-il, l’article 27 du même règlement « ne contient aucune liste limitative de clauses de la convention de licence dont le non‑respect par le licencié permettrait au titulaire de revendiquer les droits qui lui sont conférés par la protection des obtentions végétales ». Ainsi, la partie requérante considère que toute clause du contrat violé entraînera automatiquement le défaut de consentement du titulaire, et donc le non-épuisement de ses droits. Cette affirmation va à l’encontre du 14e préambule du règlement en question, qui affirme que la protection dont jouit le titulaire ne doit pas être excessive. Il considère donc que l’arrêt Copad ne doit pas influencer la présente affaire.

Le nœud du problème se situe ici : la Cour suivra-t-elle sa jurisprudence Copad par analogie ou n’en tiendra-t-il pas compte en suivant l’avis de l’avocat général ?

Il semblerait plus avisé pour la Cour de suivre l’avis de l’avocat général. En effet, il est difficile d’admettre que l’arrêt Copad soit pertinent en la matière. Ainsi, le problème est qu’en l’occurrence aucune liste telle que celle énoncée dans la directive sur le droit de la marque ne figure dans le règlement sur les obtentions végétales. A mon avis, cette liste aurait été nécessaire pour permettre de considérer que le consentement n’a pas été donné par le titulaire dans certains cas et ainsi rencontrer l’exigence de modération de la protection dont jouit le titulaire. En effet, affirmer que toute clause violée du contrat entraîne un droit automatique pour le titulaire à réclamer ses droits reviendrait à le mettre dans une position puissante par rapport aux tiers, situation contraire au 14e préambule du règlement ainsi qu’au principe contractuel de la relativité des conventions. Le droit d’action contre un tiers au contrat de licence est déjà une sérieuse atteinte au dernier principe, il faut donc interpréter ce droit d’action de manière restrictive.

Il reviendra donc à la Cour d’énoncer une « liste » semblable à celle existant en droit de la marque, ou de donner la marche à suivre pour déterminer quelles seront les clauses violées qui entraîneront un défaut de consentement du titulaire, et ainsi permettront à ce dernier d’intenter une action en contrefaçon contre un tiers.

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