27 October 2013

La carte et le territoire: une copie n’est jamais l’original

Greenspan.The Mat and the TerritoryL’ancien président de la Réserve fédérale américaine, Alain Greenspan, vient de publier chez Penguin: The Map and the Territory, en français: La carte et le territoire. Tiens, voilà qui rappelle Michel Houellebecq et son prix Goncourt 2010 pour… La carte et le territoire. Sauf que La carte et le territoire est déjà le titre d’un recueil de dix nouvelles auto-édité en 1999 par son auteur Michel Levy. Levy.La carte et le territoire

C’est ce que m’a appris un article de lexpress.fr (ici). Et l’on apprend en outre que Michel Levy s’était lui-même inspiré “du travail de l’intellectuel polonais Alfred Korzybski (1879-1950) inventeur de la fameuse formule “une carte n’est pas le territoire” “. Cette formule était aussi le titre d’un recueil de ses textes paru en 1998 aux éditions L’Eclat.

Dans cette histoire, où est La Carte originale? Qui a copié? Il semblerait en tout cas que Michel Houellebecq ait eu connaissance du livre de Levy. Et qu’il s’en soit inspiré même si la paternité de l’image de la carte et du territoire remonte plus loin. Michel Levy a d’ailleurs accusé Houellebecq de plagiat. D’autres ont accusé Houellebecq d’avoir plagié quelques articles de Wikipedia, ce qui a posé la question de l’opposabilité des conditions des licences creative commons applicables aux articles de l’encyclopédie en ligne (voir mon billet ici). On peut parier que Houellebecq n’attaquera pas Alan Greenspan pour contrefaçon. Pourquoi?

Retour sur la protection des titres aux Etats-Unis et en France. Où l’on voit apparaître une ligne ténue entre protection des oeuvres-titres et protection des signes distinctifs.

Korsybski.Une carte n'est pas le territoire

 

Aux Etats-Unis, il est impossible de protéger par le droit d’auteur une suite de quelques mots. Les titres échappent donc au droit de copyright. Le droit fondamental au free speech, c’est-à-dire à la liberté d’expression dans sa version américaine, s’oppose à ce que quelqu’un puisse acquérir un droit intellectuel sur une si petite création. Les titres, slogans et autres courtes oeuvres littéraires ne peuvent donc qu’être déposés à titre de marque et c’est par l’occupation (donc l’usage) du signe que l’on acquiert une exclusivité sur son usage. Une exclusivité bien délimitée par les conditions d’une atteinte à la marque. En gros: il y a atteinte à la marque si l’usage du signe (identique) peut induire le consommateur moyen en confusion quant à l’origine des produits. Admettons que l’éditeur américain de Michel Houellebecq ait déposé The Map and the Territory à titre de marque (pour quelles classes de produits?). Quel lecteur moyen pourrait acheter le livre d’Alan Greenspan, un très sérieux livre d’économie avec un sous-titre qui développe tout un programme: Risk, Human Nature, and the Future of Forecasting, en pensant que c’est celui de l’écrivain de fiction Houellebecq? Même si Houellebecq est connu aussi pour sa faculté d’anticipation (On se rappelle son anticipation de la nouvelle humanité reproductible par clonage à la fin de son roman Les particules élémentaires…).

Houellebecq.La carte et le territoireDétour par l’économie. En fait d’anticipation, Alan Greenspan n’a pas toujours été le ‘maestro’ tant vanté des marchés. Ou plutôt: il l’a été entre 1987 et 2006 pendant son long règne à la tête de la Fed, durant lequel il était parvenu, sur base de modèles prédictifs, à apparemment maîtriser le territoire des marchés en contrôlant la croissance et l’inflation. Jusqu’à la tempête des marchés de 2007. Du jour au lendemain, la réputation d’invincibilité d’Alan Greenspan s’effondrait en même temps qu’explosait la bulle des crédits hypothécaires. La carte dressée à l’aide des modèles mathématiques chers à Greenspan et aux économistes qui croient à l’homo economicus s’avérait erronée. Choqué, Greenspan tente dans son nouveau livre de comprendre. Sous le titre Crash course, le Financial Times (26/27 oct. 2013) retrace l’interrogation qui taraude un croyant des cartes. Greenspan semble encore croire que les algorithmes captent les tendances de l’économie réelle. Dans la partie non-financière de l’économie, la théorie rationnelle fonctionne dit-il. Mais l’argent est une autre affaire et la finance n’obéit pas aux mêmes règles que l’économie. Elle obéit aux lois de l’euphorie et de la panique… Greenspan est aussi connu pour ses réflexions sur la propriété intellectuelle (Vous pouvez l’entendre ici et le lire ici).

Mais revenons au titre et à sa protection. En France, l’article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle énonce que “Le titre d’une oeuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’oeuvre elle-même. ” Et la jurisprudence a été relativement généreuse dans la protection des titres: Les liaisons dangereuses, Clochemerle, Félix the Cat, Vol de nuit, Angélique, Au théâtre ce soir… ont été reconnus protégés. Même le titre: Dictionnaire de l’Académie française a apparemment été protégé par une décision de l’époque révolutionnaire (Cass. 28 floréal an XII, cité par Dalloz, Jurisprudence générale, t. 38, 1857). Aucun titre d’ouvrage d’économie ne semble avoir bénéficié de la protection en revanche….Mais quelle est la base de cette protection? Une oeuvre aussi brève qu’un titre peut-elle être originale?

La raison de la protection des titres, on la trouve dans la suite de l’article L. 112-4 du Code, qui précise les conditions de l’atteinte au droit sur le titre: “Nul ne peut, même si l’oeuvre n’est plus protégée (…) utiliser ce titre pour individualiser une oeuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion.” Tiens, tiens, voilà qui fait furieusement penser à la violation d’une marque ou à une règle en matière de concurrence déloyale.

Il semblerait donc qu’en France, des oeuvres (courtes) puissent fonctionner comme signes de ralliement et être protégées par le droit d’auteur dans des conditions proches de celles applicables en cas d’atteinte à la marque (risque de confusion).

Est-ce que la même approche s’applique en Belgique? Qu’en pensez-vous?

Inversement,  est-il aisé de protéger le titre d’un livre comme marque? Pouvez-vous illustrer votre réponse par de la jurisprudence?

Il vous est donc demandé de trouver quelques voies de passage entre signes distinctifs et oeuvres, entre droit des marques et droit d’auteur de façon à identifier des caps sur la carte des propriétés intellectuelles, ces îles dans l’océan de la concurrence libre. A vos cartes!

“le titre d’une oeuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’oeuvre elle-même”.
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/culture/livre/la-carte-et-le-territoire-un-titre-inspire_964066.html#FKUkqwBhAtMbtR6q.99
“le titre d’une oeuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’oeuvre elle-même”.
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/culture/livre/la-carte-et-le-territoire-un-titre-inspire_964066.html#FKUkqwBhAtMbtR6q.99
“le titre d’une oeuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’oeuvre elle-même”.
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/culture/livre/la-carte-et-le-territoire-un-titre-inspire_964066.html#FKUkqwBhAtMbtR6q.99

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