18 August 2013

Les corsaires de brevets

Ils mènent une guerre sans merci, en défendant les brevets d’autrui.

(Cet article a été publié dans La Libre Belgique du 5 août 2013. Il résume un billet plus complet, publié en anglais sur ce blog.)

Dans le monde impitoyable de la propriété intellectuelle et des technologies de l’information, on connaissait déjà les « trolls », ces petites entreprises dont le modèle d’affaires consiste à acheter des brevets et à attendre que d’autres firmes viennent les enfreindre. Si les firmes en question ont déjà investi massivement dans des technologies liées aux brevets incriminés, elles peuvent difficilement faire machine arrière et sont donc à la merci des trolls qui peuvent leur extorquer des sommes considérables. On se souvient, par exemple, des quelque 600 millions de dollars que NTP arracha à Blackberry en 2006. Il s’agit de la version moderne du hold-up.

Ce type de hold-up, quoique difficilement attaquable sur le plan légal, est plus délicat à défendre sur le plan moral. De peur d’être montrées du doigt par leurs pairs, la plupart des grandes firmes hésitent donc à se livrer elles-mêmes à cette pratique. Ce qui les retient également, c’est la crainte de contre-attaques. En effet, les firmes ont des portefeuilles de brevets tellement épais (par exemple dans le secteur des smartphones) que chacune est susceptible d’enfreindre les brevets de l’autre et inversement.

Une nouvelle tactique a toutefois récemment vu le jour pour contourner ces deux problèmes. Il s’agit, simplement, d’engager un troll en sous-main. On parle de « corsaires de brevets » pour désigner ces firmes. Les corsaires, comme Robert Surcouf ou Francis Drake, étaient en effet des pirates à qui des Etats « sous-traitaient » des opérations guerrières. On les armait et leur accordait le droit d’attaquer les navires battant pavillon d’Etats ennemis, ce qui permettait à l’Etat commanditaire d’harceler l’ennemi sans subir les risques et les coûts d’une bataille rangée officielle.

Par exemple, Microsoft et Nokia ont transféré plus de 2000 brevets à Mosaid, un troll notoire. Ericsson a fait de même avec Unwired Planet, un autre troll bien connu. Les trolls reçoivent pour mission de valoriser les brevets qu’ils ont reçus, une activité pour laquelle ils ont fait leurs preuves. De plus, comme il s’agit de petites firmes n’ayant aucune opération de production, elles sont insensibles aux menaces de contre-offensive. Ainsi, les grandes entreprises parviennent à valoriser agressivement leur propriété intellectuelle sans prêter le flanc ni aux contre-attaques ni à la critique.

Les nations européennes signèrent le Traité de Paris en 1856 pour abolir la pratique des navires corsaires. Peut-on espérer un tel accord de paix dans le monde des brevets ? Tout le monde en profiterait car les guerres de brevets nuisent immanquablement à l’innovation : ce sont des sommes colossales qui sont consacrées à des luttes juridiques stériles plutôt qu’aux efforts de recherche et développement. Malheureusement, on peut sincèrement douter qu’une telle paix soit conclue spontanément tant le nombre d’acteurs à convaincre et les enjeux économiques individuels sont élevés. Les corsaires de brevets risquent donc de sillonner les océans de la propriété intellectuelle pendant encore pas mal de temps.

 

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